Santé publique : la loi dans le potage?

26 avril 2004

Porteuse de l’ambition de tout un siècle – celle qui l’a précédée remonte à 1904 – la prochaine loi de santé publique sera enfantée dans la douleur. Il y a cependant urgence pour éviter que la France ne connaisse un recul de l’espérance de vie à la naissance.

Un signe flagrant de régression sociale. A ce jour et parmi les états développés, seuls ceux de l’ex-URSS ont été frappés. Mais pour certains parlementaires, la gangrène pourrait faire son chemin à la faveur (?) des lacunes du projet existant, qui selon eux ne porte pas suffisamment le fer contre les facteurs de mortalité prématurée, avant 65 ans. Ce Projet de loi relatif à la politique de santé publique vise notamment à faire taire ceux qui affirment depuis plus de 40 ans, que la France n’a jamais su se pourvoir d’une politique de santé…

La grande majorité des parlementaires ne s’y est pas trompée : la principale menace sanitaire qui plane sur la population française est liée à ses styles de vie. Durant les débats parlementaires, les flèches n’ont pas manqué pour brocarder les 100 objectifs du projet de loi défendu -en seconde main et peut-être au moins pour partie à son corps défendant- par Philippe Douste-Blazy. Il a été facile à ses détracteurs de dénoncer « un aspect catalogue (qui) ignore nombre de problèmes de santé marginalisés, dont l’alcoolisme, les problèmes d’audition, la santé mentale… »

Cancers, diabète, hypertension, obésité : des causes de mortalité évitables…
Il est constant que la mortalité prématurée est aussi… évitable. Les cancers du sein, du côlon, du rectum, les maladies cardio-vasculaires, le diabète, l’obésité sont accessibles à trois échelons de précocité décroissante : prévention avec la lutte contre l’alcoolisation, le tabagisme, la sédentarité et les déséquilibres alimentaires ; dépistage grâce par exemple, à une médecine du travail enfin réorganisée et réhabilitée ; et bien sûr thérapeutique avec des médicaments dont l’efficacité et la sécurité au long cours sont aujourd’hui amplement prouvées. Une constante s’impose pour que ces trois niveaux d’action soient porteurs de succès : la nécessité d’une vraie volonté politique.

Le socialiste Jean-Marie Le Guen a eu beau jeu de dénoncer le recul du gouvernement devant l’amendement prévoyant de limiter la publicité en faveur des produits alimentaires dans les programmes destinés aux enfants. Un amendement proposé par sa propre majorité sénatoriale et que beaucoup jugeaient trop pusillanime… Cette reculade n’a été que partiellement compensée par un autre amendement proposé lui, par l’UMP Yves Bur. Pour interdire les distributeurs de confiseries dans les collèges et les lycées. Il sera voté par une majorité de circonstance et… contre l’avis du gouvernement !

Une bonne idée cependant. Combinée à la récente philippique de l’AFSSA contre la collation du matin, elle sauvera peut-être quelques milliers de jeunes de l’obésité qui les gagne… Car selon l’étude Inca menée voici bientôt 4 ans, dans plus de 90% des cas cette collation est inutile. Pire : elle augmente les prises alimentaires et déséquilibre la balance énergétique.

Dans ses jeunes années de praticien hospitalier, Philippe Douste-Blazy a été le coordonnateur pour la France, du projet MONICA lancé par l’OMS. Il ne peut ignorer les mises en garde des parlementaires qui lui demandent, chaque jour, comment prévenir l’hypertension artérielle et les risques cardio-vasculaires sans lutter contre les surconsommations de sel imposées par les industries agroalimentaires. Notamment dans les plats pré cuisinés, le pain et la charcuterie… La question n’est évidemment pas de savoir s’il sait. Elle est de déterminer s’il trouvera au sein du gouvernement, les soutiens pour résister aux pressions qui s’opposent à l’émergence d’une vraie politique de santé plutôt que de lutte contre les maladies… Des pressions qui viennent d’horizons très divers, allant de certains milieux industriels à des ONG au financement parfois opaque.

Ce qui fait dire au même Jean-Marie Le Guen que « Voilà où en est le débat sur la santé publique aujourd’hui… Comme des commentaires ne manqueront pas d’être faits sur l’intervention des lobbies, je tiens à féliciter les membres des deux assemblées qui ont su, même quand le Gouvernement ne le jugeait pas nécessaire, faire prévaloir des intérêts de santé publique. » La suite au prochain tour… S’il y en a un.

Car en fait il est à craindre que la France en se dotant d’une loi brouillonne et inachevée, se prive de l’occasion de promouvoir la responsabilité et l’autodiscipline des acteurs concernés: industriels, administrations de tutelle, consommateurs et pourquoi pas, les politiques.

  • Source : Johns Hopkins Medical Institutions, 5 avril 2004

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