De la médecine des fous à celle de l’esprit : regard sur la psychiatrie…

06 février 2012

Très souvent dans l’inconscient collectif, la psychiatrie est associée à l’image de camisoles, de blouses blanches portées par de solides gaillards chargés de « contrôler » des malades agités. Vol au dessus d’un nid de coucou est la traduction contemporaine d’une image d’Epinal tenace. La discipline reste mal comprise. Et par là même, elle inquiète souvent. De la libération des fous par Philippe Pinel à la fin du XVIIIe siècle aux Plans Santé mentale d’aujourd’hui, comment avons-nous évolué ? Le Pr Jean-Pierre Olié (photo), membre de l’Académie nationale de Médecine et chef de service de psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, nous emmène pour une visite guidée d’un genre inhabituel…

La psychiatrie a pour mission d’identifier et de traiter les affections de l’esprit. Mais pour notre spécialiste, « elle va bien au-delà du diagnostic et du traitement. La définition que l’OMS donne de la Santé, est celle d’un bien-être physique, social et mental ».

Un peu d’Histoire…

Avec à peine plus de deux siècles d’existence, l’histoire de la psychiatrie est brève, c’est le moins qu’on puisse dire. Les choses ont évolué à leur rythme, marquées çà et là, par de grandes figures grâce auxquelles la discipline a pu avancer.

Pour Jean-Pierre Olié l’un des plus grands noms de la psychiatrie française est celui de Philippe Pinel. « Jusqu’en 1793, on enfermait indifféremment les personnes souffrant de troubles mentaux et les délinquants ».

Philippe Pinel était un psychiatre, ou plutôt un aliéniste comme on disait à l’époque. L’origine du mot est latine : « alienus » qui signifie « qui appartient à un autre » stigmatise l’étranger à lui-même… et à soi. D’ailleurs, l’anglais utilise toujours « alien » pour aux frontières, signaler le guichet réservé aux « étrangers » d’un territoire… Pinel donc, entreprend un véritable travail de reconnaissance des personnes souffrant d’un trouble mental. Son but, les distinguer des délinquants. Ce fut un premier bouleversement dans le regard que la société portait alors sur les « fous ». Dès lors, les aliénés seront libérés de leurs chaînes. Au propre, et même au figuré.

Les classements des maladies psychiatriques n’acquerront une forme de pertinence qu’au début du XXe siècle. « Bien sûr, si vous étiez venu à Ste-Anne à cette époque, vous auriez entendu des cris, des chants… » Nous ne sommes pas loin de l’album de Tintin qui met en scène Les cigares du pharaon, où les patients se promènent avec un pot de fleur sur la tête ou se prennent pour Napoléon…

Il faudra encore attendre 1952, et « deux grandes figures de la psychiatrie que sont Jean Delay et Pierre Deniker. Ce sont eux qui ont conçu un médicament qui, administré chaque jour, faisait disparaître les hallucinations, les bouffées délirantes, les angoisses… » Les neuroleptiques étaient nés… même s’ils ont mis des années à s’imposer, au fil d’évolutions successives.

Petit à petit et jusque dans les années 1980, de nouvelles molécules seront mises au point. L’atmosphère des établissements psychiatriques change. Les traitements médicamenteux s’imposent. L’époque des traitements-punitions est révolue.

Vivons-nous un retour en arrière ?

« L’époque actuelle n’est pas sans rappeler celle de Pinel » se désole pourtant Jean-Pierre Olié. « Aujourd’hui, 20% de la population carcérale souffre de schizophrénie. On remet dans un même lieu les malades mentaux et les délinquants. Exactement ce que Pinel avait voulu éviter… » Vivons-nous une marche arrière de plus de deux siècles, une sorte de « Flashback » de la médecine qui par certains aspects, évoque un retour vers une forme d’exercice carcéral ? Est-ce un regain d’indifférence envers ceux qui souffrent de troubles mentaux ? Le Pr Olié y voit plutôt « un signe de la dureté de notre société, qui a du mal à comprendre la théorie psychanalytique ».

La psychiatrie du XXIè siècle est-elle sanitaire ou sécuritaire ?

« Il n’y a pas de malade dangereux » affirme Jean-Pierre Olié. « Il existe en revanche, des états mentaux porteurs de dangerosité ». Une impression de jouer sur les mots ? Pas vraiment. L’Académicien explique pour nous, les 3 conditions qui génèrent la dangerosité :
– Une maladie psychiatrique non diagnostiquée, et donc non traitée ;
– Une association entre maladie mentale et produits toxiques (alcool, cannabis…) ;
– et enfin l’état d’isolement du malade mental.

« L’addition de ces 3 critères, chez un patient atteint de troubles psychiatriques, multiplie le risque d’un acte criminel par 8 à 12, en comparaison de ce que l’on peut observer dans la population générale ». Alors, comment éviter ces dangers ? « Les solutions seraient de favoriser un diagnostic le plus précoce possible, avec des traitements poursuivis aussi longtemps que nécessaire, une lutte plus efficace contre la tentation de prise de toxiques, et l’identification – comme la mise en œuvre- de mesures sociales qui éviteraient au malade de se retrouver à la rue… »

Que peut-on attendre de la psychiatrie demain?

En France, un premier Plan Santé mentale a été lancé entre 2005 et 2008 par le ministère en charge de la Santé. Mais selon le Pr Olié, il a «davantage considéré la périphérie de la psychiatrie, comme le dépistage des maladies dépressives, l’accompagnement psychologique de la population vieillissante… Or le cœur de la psychiatrie, ce sont les grandes maladies mentales, au premier rang desquelles la schizophrénie.»

Pour sa part Nora Berra, secrétaire d’Etat chargée de la Santé, a récemment annoncé la mise en place prochaine, sans doute à l’automne, d’un nouveau Plan Santé mentale. S’il reconnait que ce plan n’en est qu’à ses prémices, Jean-Pierre Olié estime que les professionnels sont en droit d’attendre :

– Une redéfinition des champs de compétences de chaque professionnel dans la chaîne de soins : celles du psychiatre public, du psychiatre de ville, du psychothérapeute, du psychologue, de l’infirmier… ;
– L’établissement d’un véritable état des lieux et des limites du champs d’action de la psychiatrie. Et en corollaire, l’identification des moyens dont elle a besoin et qui lui font aujourd’hui défaut;
– Une meilleure formation des médecins quelle que soit leur discpline et leur mode d’exercice, dans le domaine de la prise en charge psychiatrique.

  • Source : Interview du Pr Jean-Pierre Olié, juin 2011

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