La pilule fait-elle inéluctablement grossir ?

01 mars 2002
Nul ne conteste plus l’efficacité de la contraception orale. Aujourd’hui dans le monde, plus de 100 millions de femmes l’utilisent régulièrement. Au-delà des chiffres bruts cependant, les informations précises sur le vécu qu’elles en retirent sont trop rares. Et surtout fragmentaires. Une nouvelle étude , menée en France auprès de 3 600 femmes de 15 à 45 ans, vient en partie combler cette lacune. Réalisée par l’institut SOFRES Santé, elle nous en dit plus sur les conditions réelles d’utilisation de la pilule aujourd’hui. Elle ouvre également des pistes intéressantes pour une meilleure connaissance des effets indésirables de la contraception orale. Et donc en faveur de leur maîtrise… Ainsi, la grande majorité des femmes françaises estiment que la pilule est fiable, qu’elle préserve leur liberté, qu’elle est bien adaptée à celles d’entre elles qui ont des rapports sexuels réguliers. Elle est aussi considérée comme un moyen de contraception discret, ce qui paraît un élément appréciable. Pourtant, si elles sont 12% de plus qu’en 1994 à l’utiliser, elles n’en sont pas pour autant totalement satisfaites. Une femme sur deux estime en effet que la pilule possède des effets indésirables gênants. Au chapitre des doléances, la prise de poids et la rétention d’eau figurent en bonne place. Une femme sur trois prend du poids Cela fait trente ans que la rumeur court, selon laquelle « la pilule fait grossir ». Et rien ne l’arrête, puisque les femmes s’en plaignent encore aujourd’hui ! A en croire bien des médecins, elles auraient tort. Car on assure, ici et là, que grâce aux pilules moins dosées en estrogènes, grâce aux nouveaux progestatifs, la pilule ne fait normalement plus grossir. Et que s’il y a prise de poids il faut chercher ailleurs, dans son comportement alimentaire ou dans l’arrêt du tabac, par exemple. En fait la normalité, sous pilule, c’est d’arrêter de fumer ! Car un rapport établi par trois agences des Nations Unies a clairement souligné que le risque de crise cardiaque est considérablement augmenté chez les femmes qui fument 10 cigarettes ou plus chaque jour et recourent à la contraception orale. Avant 35 ans, celles qui ne prennent pas la pilule et ne fument pas ont peu d’accidents cardiaques : moins d’un pour un million de femmes et par an. Toutefois, ce risque passe à 40 cas par million et par an avant 35 ans chez les fumeuses qui prennent la pilule, et à 500 cas chez les plus de 35 ans. Soit un accident pour 2 000 femmes chaque année! Le sevrage tabagique s’imposant, un contrôle efficace du poids semble donc essentiel à la qualité de vie… comme à l’observance. Avis aux professionnels ! Or selon cette enquête, une femme sur trois sous pilule en 2001 dit avoir pris du poids depuis qu’elle a adopté cette méthode contraceptive. Elles sont 35 % parmi les moins de 25 ans, et 29% dans la tranche d’âge de 25 à 45 ans. Elles assurent avoir pris entre 1 kg et 20 kg de poids, avec une moyenne qui se situe autour de 3,4 kg ! En fait, une femme sur deux a pris au moins deux kilos. C’est beaucoup. Car si elles estiment « acceptable » une prise de poids de l’ordre de 1,5 kg, deux femmes sur trois se disent préoccupées par ce problème. Et ce sont les plus jeunes, celles qui ont de 15 à 19 ans, qui éprouvent le plus de difficulté à le vivre. Si c’est votre cas, ne vous désespérez pas ! D’abord, il est possible que vous n’ayez pas encore terminé votre croissance. Le poids des muscles et des os, qui augmente avec la taille, peut aussi peser dans la balance… Par ailleurs, il est bien probable que, à l’instar de beaucoup de jeunes ou très jeunes femmes, vous ne soyez pas une championne de l’alimentation équilibrée… Le statut d’étudiante, les pressions d’un premier emploi n’oeuvrent pas toujours en faveur d’un bon équilibre nutritionnel. Or, force est de reconnaître que la façon de se nourrir n’est pas toujours étrangère à une prise de poids… Le problème, c’est que cette prise de poids est mal vécue. Dans 15% des cas, les femmes vont purement et simplement demander à leur médecin de changer de pilule ou de choisir une autre méthode contraceptive. Elle sont également 41% à se lancer dans un régime ou à rechercher une perte de poids par une autre méthode. C’est dire la dimension du problème. Quelle corrélation avec la pilule utilisée ? L’enquête menée par la SOFRES répond de façon claire à cette question. Quel que soit le type de pilule utilisé, la fréquence de la prise de poids est stable. La durée d’utilisation de la pilule – avec tout de même des extrêmes à 1 an et 11 ans voire davantage - paraît également sans incidence. Enfin, aucune différence n’a été observée en fonction de l’âge auquel les femmes ont adopté pour la première fois cette forme de contraception. Il faut donc affiner la recherche. Et surtout, chercher ailleurs… Un Quarté gagnant avec les autres effets indésirables Parmi les informations majeures qui émergent de cette enquête, il en est une qui mérite qu’on s’y attarde. Il semble en effet que la prise de poids arrive rarement seule ! En fait, elle est presque toujours liée à la présence de quatre autres effets indésirables. Le plus flagrant concerne la rétention hydro sodée, c’est à dire cette sensation de rétention d’eau, de gonflement, de ballonnement, de jambes lourdes que trop de femmes sous pilule connaissent bien. Son association avec la prise de poids semble effectivement logique. Or c’est le cas pour plus d’une femme sur deux, en ce qui concerne les sensations de rétention d’eau et de gonflement dont elles sont respectivement 53% et 52% à se plaindre. Les ballonnements - 40% des cas - et les jambes lourdes - 46 % des femmes – sont également très fréquents. Ce n’est pas nouveau. Il faut savoir en effet, que la rétention hydro sodée a toujours été plus ou moins liée à la prise de la pilule. Notamment quand il y a surdosage d’estrogènes. En comparaison avec le cas de femmes de 30 à 35 ans qui ont choisi le stérilet comme moyen de contraception, les problèmes de rétention d’eau sont beaucoup plus fréquents chez celles qui prennent la pilule. Autre effet indésirable majeur, les douleurs mammaires. Au point que 41 % des femmes qui s’en plaignent ont également pris du poids. Troisième accusé, les problèmes cutanés et particulièrement l’acné, retrouvés chez 42% des jeunes femmes de moins de 25 ans qui se plaignent d’un excès pondéral. Enfin, l’association de règles douloureuses à la prise de poids est également un problème fréquent chez les moins de 25 ans. Présentes dans 37% à 38% des cas, elles sont parfois attribuées à une instabilité du terrain hormonal. Voire à une mauvaise observance de la pilule, qui provoque des saignements et une rétention d’eau. Caractéristiques de la contraception orale, ces symptômes n’en constituent pas pour autant la marque spécifique. Tant s’en faut. Même en dehors de toute prise de pilule, ils se retrouvent chez bon nombre de femmes, isolément ou rassemblés sous le vocable bien connu de syndrome prémenstruel. Une vieille connaissance… Faut-il changer de pilule ? Au vu des résultats de cette enquête, trois constatations émergent d’emblée : tout d’abord, les femmes qui ont pris le moins de poids sont celles qui n’avaient jamais utilisé de pilule avant celle dont l’impact a été évalué dans ce travail : 28% des cas, contre 35% pour les femmes qui en étaient à leur deuxième essai de pilule… ou plus. Ensuite, 14% des femmes dont le poids était stable sous pilule l’ont vu augmenter lorsqu’elles ont changé de contraception orale. Enfin, 53% de celles qui avaient déjà pris du poids avec une pilule précédente se sont plaint de ce que leur courbe de poids repartait après changement... Donc, si vous vouliez changer de pilule pour ne plus prendre de poids, c’est raté dans plus de la moitié des cas ! Autre constatation, plus on change souvent de pilule (tous les ans ou tous les deux ans), plus on se plaint de prendre de poids. Chez celles qui avaient attendu trois ans ou plus pour changer de pilule en effet, la prise de poids s’est avérée moins fréquente, avec un taux de 22% au lieu de 27 %. Enfin côté « bonnes nouvelles », signalons d'abord que près de la moitié des femmes (47% des cas) qui ont changé de pilule ont malgré tout constaté une amélioration. Ensuite, différentes publications scientifiques font état d’un nouveau progestatif, la drospirénone. Celui-ci, en s’opposant à la rétention hydrosodée induite par l'ethynil estradiol, aurait montré un meilleur contrôle de la prise de poids. Que faut-il en conclure ? Il n’est pas encore démontré que le fait de changer de pilule pourrait à coup sûr éviter ou enrayer la prise de poids. En revanche, il est clair que cette plainte doit être entendue et prise en compte. En effet, une femme sur cinq déclare avoir abandonné sa dernière pilule en raison d’une prise de poids. Certaines risquent alors d’abandonner toute contraception, et de se trouver confrontées à des grossesses non désirées. Cependant, il ressort de cette enquête que l’association d’une prise de poids et d’autres effets indésirables évoque un phénomène général de mauvaise tolérance de la pilule. Les femmes dont le poids augmente sous pilule souffriraient ainsi d’une intolérance constitutionnelle aux estro-progestatifs. Et cela sans distinction, quelle que soit la pilule utilisée. A moins qu’il ne s’agisse de femmes qui présentaient un symptôme prémenstruel de forte intensité avant même de passer sous pilule, et que cette dernière n’a pu améliorer. Si une réelle prise de poids survient avec votre pilule actuelle, c’est votre médecin que vous devez consulter de nouveau. Il se peut en effet qu’une contre-indication à la contraception orale ait échappé au premier bilan médical. Quant aux pilules estro-progestatives, si une meilleure tolérance peut en être attendue, elle viendra sans doute d’une réduction de la rétention d’eau induite par l’ethynil estradiol, qui semble fortement corrélée à la prise de poids.
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