Médicaments illicites : les marchands de mort…

22 mai 2000
En avril dernier, à l’occasion du Salon VIM à Dakar, les responsables du médicament d’Afrique de l’ouest se réunissent avec les représentants du SNIP, organisation professionnelle de l’industrie pharmaceutique en France. Cette réunion traduit la préoccupation grandissante des professionnels devant le développement des marchés parallèles. Inaugurée dans les années 80, cette tendance s’est affirmée au fil des ans. Dès 1985, l’OMS organisait à Nairobi, au Kenya, une réunion d’experts sur « l’usage rationnel du médicament. » Sous cet intitulé anodin, celle-ci traitait déjà en profondeur le problème des malfaçons, contrefaçons et faux médicaments. Une industrie florissante ! La contrefaçon pharmaceutique mondiale est une industrie. Avec un chiffre d’affaires de 12 milliards de dollars par an. Cela représente 6 % du chiffre d’affaire de l’industrie pharmaceutique. Comme l’explique Gérard Peyrat, un industriel français, « dans la rue, elle saute aux yeux. Dans certains pays, vendeurs et vendeuses déambulent dans les rues avec des bassines pleines de médicaments. Ils n’ont aucune compétence et c’est un problème majeur de santé publique. » Le phénomène prend de l’ampleur. Pour une dizaine de cas recensés en 1982 il y en a eu 230 en 1994. En Afrique noire en particulier, la situation est préoccupante. Pour le Dr Coulibaly Sabaly, Directeur de la Pharmacie et des Médicaments de Côte d’Ivoire, « le marché parallèle des médicaments est devenu aujourd’hui, en Côte d’Ivoire comme dans bien d’autres pays, un phénomène de société, un drame. Il occupe une proportion importante du marché pharmaceutique, de l’ordre de 5% à 6%. » Le commerce illicite de médicaments est davantage qu’un délit économique, un crime. Sambologo Ouedroago est chirurgien à Ouagadogou, au Burkina Faso. Responsable de l’association Santé Solidarité Afrique et de Médecins d’Afrique International, il nous livre son sentiment : « Je ne peux pas rester insensible au problème du médicament dans la mesure où les malades viennent me voir. Je leur fais une ordonnance, ils s’approvisionnent dans la rue et avalent n’importe quoi. Ensuite ils viennent mourir sous mes yeux. Ça m’interpelle. Parce que je me rappelle quand j’étais au lycée à Ouagadougou dans les années 70-72, il n’y avait pas de médicaments qui circulaient partout comme aujourd’hui. Qu’est-ce qui s’est passé?» Ce qui s’est passé ? L’Afrique a été frappée de plein fouet par une série de cataclysmes sociaux et économiques. La pandémie à VIH-SIDA a décimé les forces vives du continent. Des guerres civiles ou transfrontalières ont dévasté plusieurs pays. La dévaluation du franc CFA a renchéri tous les produits d’importation. La fraude a prospéré sur ce terrain. Aujourd’hui, le continent africain est en quelque sorte la terre d’élection de faussaires venus du monde entier. Du sud-est asiatique, d’Amérique latine, d’Inde, et de certaines républiques de l’Est européen. Le médicament a une chaîne. Il ne doit pas en sortir Les responsables réunis à Dakar ont comparé leurs données et les moyens mis en œuvre. La solution passe par le tarissement du marché. Comme nous l’explique Gérard Peyrat, « s’il n’y a pas de soutien politique, ce n’est pas la peine de lutter. Les politiques doivent imprimer leur volonté aux différents ministères concernés : Santé, Justice, Douanes, Police, Intérieur… Tous ces ministères doivent travailler de concert pour réprimer la vente illégale de faux médicaments dans des endroits où ils n’ont rien à faire. Le médicament a une chaîne, il ne doit pas en sortir... » Sans oublier la prévention et l’information. Sans elles, les populations iront toujours se servir dans ces marchés parallèles, parce qu’elles croient hélas, que le médicament est moins cher dans la rue. Ce qui est complètement faux. Les calculs économiques montrent que le médicament est plus cher. Mais comme il est vendu à l’unité, au comprimé, c’est évidemment plus facile pour le malade. « Il faut donc informer les malades, et surtout insister à travers les organisations familiales de ces différents pays, comme les associations de femmes ou d’élèves, pour les éduquer, leur apprendre le bon usage du médicament. Restent aussi, pour qui veut tarir la source du trafic, deux points importants. D’une part réfléchir aux attentes réelles du malade, à sa conception culturelle du médicament. Et d’autre part, rendre plus accessibles les médicaments génériques. Depuis 2 ou 3 ans, la disponibilité de produits de qualité à des prix abordables s’est nettement améliorée dans les circuits officiels : officines privées, dispensaires, centres de santé, hôpitaux. Or comme le souligne Gérard Peyrat, beaucoup de gens continuent à se soigner dans la rue. Pourquoi ? Parce que la présentation, le conditionnement et l’offre en termes de produits ne correspondent pas aux besoins des populations.» Une pierre dans notre jardin de nantis ! « Le générique est une offre de soins indispensable, dans des pays où les populations peuvent avoir des difficultés économiques ou d’accessibilité », insiste-t-il. « Avec 20 000 francs CFA par mois ( 200 francs français, ndlr), il est difficile de se traiter. Nous devons leur offrir les médicaments les plus accessibles, à la fois en termes de proximité géographique, mais aussi de coût. Il faut surtout les convaincre de venir se soigner dans des structures officielles, et non dans la rue ou sur le marché. » Par une générosité un peu désordonnée, les ressortissants des pays développés occasionnent parfois plus de difficultés qu’ils n’apportent de soulagement. Jacob Ngaba est Inspecteur des Services pharmaceutiques de la République Centrafricaine. Il ne cache pas son amertume. « Les gens qui envoient des colis par Aviation sans Frontières nous posent un sérieux problème. Certaines associations caritatives françaises, sous prétexte d’aider leurs homologues en Centrafrique, ramassent des médicaments dans des foyers. Parfois vous les trouvez sous blister avec un seul comprimé ou sous forme de sirop avec une seule cuillerée restante. » Sur place, le travail de tri occupe des professionnels qualifiés qui sont ainsi détournés d’activités parfois urgentes. En outre, « ces médicaments ne correspondent pas aux pathologies rencontrées en Centrafrique. Nous n’avons pas besoin de psychotropes, ni de tranquillisants. C’est vraiment décourageant. Il faut arrêter. Ce ne sont pas des médicaments qui manquent en Centrafrique, nous avons une centrale d’achat. Ce qui manque, c’est l’argent pour les acheter. » Et voilà une pierre dans notre jardin de nantis ! Peut-être devrions-nous mieux réfléchir à la manière d’aider, au-delà des frontières. Sans oublier nos difficultés propres et les menaces qui pèsent, en Europe, sur notre approvisionnement en médicaments. Avec les sociétés de vente sur Internet et, comme en Afrique, les vendeurs à la sauvette qui nous proposent sous le manteau, des produits contrefaits venus de l’étranger. Les « médicaments » proposés sont essentiellement ciblés sur des affections liées à l’âge : la mélatonine, la DHEA, les imitations de remèdes à la virilité défaillante sont proposés sur tous les réseaux. Ils ne sont pas moins dangereux que les prétendus antibiotiques vendus au sud du Sahara…
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