Trouble bipolaire : quand l’humeur dicte sa loi

03 octobre 2011

Autrefois évoqué sous le nom de « psychose maniacodépressive » ou de « maladie maniacodépressive », le trouble bipolaire est une maladie fréquente. Les Américains considèrent que 3% de leur population est concernée. En France les estimations sont du même ordre, ce qui représente près de 1,5 million de patients vivant un dérèglement de l’humeur. Peu médiatisé, encore stigmatisé comme de nombreuses pathologies psychiatriques, le trouble bipolaire est une maladie à la fois handicapante et récidivante. Sa prise en charge comme sa reconnaissance, font encore défaut.

« Le trouble bipolaire est un trouble de l’humeur, une pathologie de l’hyperréactivité émotionnelle, dans un sens ou dans l’autre », explique le Dr Jean-Albert Meynard, chef de service de psychiatrie au Centre hospitalier de la Rochelle. Les malades alternent des phases dépressives et maniaques. Le patient alors est «euphorique, avec une exaltation émotionnelle. Un sentiment de toute puissance ». Les spécialistes distinguent deux types principaux de troubles bipolaires : - Le trouble bipolaire de type I est le plus emblématique. Il se caractérise par un ou plusieurs épisodes maniaques ou mixtes, accompagnés d’épisodes dépressifs majeurs ; - Le trouble bipolaire de type II pour sa part, correspond à l’association d’au moins un épisode dépressif majeur et d’un épisode d’hypomanie, une forme atténuée de la manie. « Ce type de trouble bipolaire est tout aussi invalidant que le premier », explique le Dr Meynard. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la survenue d’un trouble bipolaire. Son mécanisme précis nous échappe, mais les psychiatres disposent de solides éléments de preuves pour affirmer que certains facteurs génétiques jouent un rôle important. « Le problème de la bipolarité, c’est sa reconnaissance », souligne Jean-Albert Meynard. « En France, il faut entre 5 et 10 ans pour faire le diagnostic ». Ce retard prive le patient des traitements qui pourraient l’aider. Il l’expose à toutes les conséquences de détresse sociale liées à la maladie. « Quand nous posons le diagnostic, le malade est déjà dans la spirale d’une maladie chronique et récidivante ». Voilà qui explique également, pourquoi le trouble bipolaire est encore si mal reconnu. Qu’est-ce que la manie ? Lorsqu’il se trouve en phase maniaque, le patient paraît anormalement et continuellement exalté, irritable ou euphorique. Cet état peut se prolonger des semaines. Pourtant, tous les sujets en état maniaque ne sont pas forcément heureux ni euphoriques. Ils peuvent au contraire être irritables, colériques, agressifs… avec un sentiment de toute puissance ! Le plus souvent, l’épisode maniaque se manifeste par des troubles du sommeil extrêmement lourds. Certains malades en arrivent à ne pas dormir pendant des nuits d’affilée. Le maniaque parle beaucoup, vite et change rapidement de sujet. Dans le même temps, il perd facilement le fil de sa pensée et se montre particulièrement distrait. En phase maniaque, il va prendre des risques inconsidérés, sans mesurer les dangers auxquels il s’expose : comportement sexuel à risque, prise excessive de toxiques, dépenses inconsidérées… « Les conséquences d’un épisode maniaque peuvent être gravissimes. Le patient perd tout sens moral et même éthique », explique le Dr Jean-Albert Meynard. « Il pourra par exemple, faire une cour assidue ou harceler des femmes, sans nuance. D’autres vont dépenser des sommes folles, en achetant un bateau de luxe, une voiture de course...» Enfin une phase maniaque peut mener à des troubles psychotiques. Le patient va délirer, perdre le contact avec la réalité, se trouver victime d’hallucinations, très souvent auditives. Qu’est-ce que la dépression dans le trouble bipolaire ? Pour être considérés comme des signes de dépression, les symptômes doivent durer au moins deux semaines, et se manifester pratiquement tous les jours. Apathie, souffrance morale, idées suicidaires, troubles du sommeil et de l’alimentation, dévalorisation… Ce type d’épisode dépressif peut se manifester de nombreuses façons. La plupart des patients perdent la notion de plaisir, se sentent comme abattus, mangent peu ou au contraire se reportent sur des aliments gras et sucrés. La dépression entraîne souvent des perturbations du sommeil. Elle s’accompagne d’une anxiété intense, de l’impossibilité d’accomplir les tâches du quotidien, qu’elles soient personnelles ou professionnelles. Tout ceci se traduit par un manque de confiance en soi, un sentiment de culpabilité, avec un profond ressenti de dévalorisation. Au plus fort de l’épisode dépressif, les pensées suicidaires sont à leur extrême. « Entre 15% et 20% des bipolaires font une ou plusieurs tentatives de suicide », précise ainsi le Dr Meynard. Des comorbidités extrêmes. L’un des troubles associés les plus fréquents est l’abus de drogues ou d’alcool. Pendant leurs épisodes maniaques, certains pourront boire avec excès, ou expérimenter de nouvelles drogues. Ce comportement s’explique par l’impulsivité qui caractérise ces phases, et par le sentiment de liberté totale qui habite alors les malades. Parfois, ces derniers prennent des toxiques en période dépressive pour soulager leurs symptômes. « Etre bipolaire, cela implique une mortalité supérieure. Ce sont des gens qui meurent 9 ans plus tôt en moyenne que la population générale. Et ils décèdent de leurs comorbidités : les addictions, les prises de risque sexuel, le suicide et des comorbidités physiques comme les maladies cardiovasculaires ou les cancers ». Celles-ci retentissent violemment sur l’entourage. « La moitié des familles de bipolaires sont en souffrance, 50% à 80% sont séparés ou divorcés. Il n‘est pas rare qu’une famille où l’un des parents est bipolaire perde tous ses amis » Au niveau professionnel, le sujet entretient le plus souvent des rapports conflictuels avec ses collègues. Une prise en charge multidimensionnelle. La prise en charge repose sur l’association de différentes approches : - L’utilisation de médicaments est bien sûr impérative. Elle fait souvent appel à l’association de plusieurs traitements. « Nous disposons de médicaments dits thymorégulateurs, d’antipsychotiques, d’antidépresseurs et d’anxiolytiques », explique ainsi le Dr Meynard. « Et pour chaque patient, nous mettons en place une stratégie thérapeutique individualisée » ; - Mais le trouble bipolaire nécessite également la mise en place de traitements psychosociaux. Ces derniers comprennent la psychoéducation, la psychothérapie, le recours à des groupes de soutien et de réadaptation. « Les formes de psychothérapie les plus adaptées sont la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie interpersonnelle avec l’aménagement des rythmes sociaux. Elles fonctionnent très bien ». Ces formes de psychothérapie seraient efficaces pour prévenir les crises. Elles reposent sur l’identification puis la modification du mode de pensée, la qualité des émotions pour améliorer l’humeur des patients. « Les groupes de patients qui s’expriment sur leur maladie se révèlent également efficaces. La clef de la réussite, c’est d’informer au maximum nos malades. Mieux ils connaissent et comprennent leur maladie, plus ils seront convaincus de prendre leurs traitements, de suivre une psychothérapie. Résultat, ils vivront mieux avec leur maladie. » La prise en charge psychologique repose sur des stratégies nombreuses et variées. Toutes visent à réduire le risque de rechute. «Est-ce que les traitements à terme, peuvent guérir la maladie ? Non, mais nous pouvons la stabiliser, l’édulcorer, parvenir à l’empêcher d’évoluer vers des formes graves. Pour cela, il est capital de diagnostiquer le plus précocement possible, car l’évolution sans traitement est gravissime, avec le risque de suicide et de développement des comportements à risque. Nous savons que les patients traités peuvent avoir une excellente qualité de vie, jusqu’à un âge avancé. »
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