Rapport de l’IGAS sur le Médiator® : accablant pour l’AFSSaPS et Servier

15 janvier 2011

Les trois enquêteurs de l’IGAS ont remis ce samedi à Xavier Bertrand, ministre en charge de la Santé, un rapport destiné à faire la lumière sur l’affaire du Médiator®, cet antidiabétique retiré du marché en novembre 2009. Le document est accablant pour l’administration en charge de la surveillance du médicament dans notre pays : l’Agence française de Sécurité sanitaire des Produits de Santé (AFSSaPS). Mais pas seulement.

L’AFSSaPS inexplicablement tolérante. Selon les rapporteurs de l’IGAS, l’Agence du médicament a été « inexplicablement tolérante à l’égard d’un médicament sans efficacité thérapeutique réelle ». Ce n’est pas tout : « le système de pharmacovigilance (s’est montré) incapable d’analyser les graves risques apparus en termes de cardiotoxicité du Médiator®. (…) ».

Rappelons que ce médicament à été commercialisé durant 33 ans en France. « A aucun moment pendant cette longue période, aucun des médecins experts pharmacologues, internes ou externes à l’Agence, n’a été en mesure de conduire un raisonnement pharmacologique clairvoyant et d’éclairer ainsi les choix des directions générales successives », expliquent les auteurs.

Avant d’en remettre une couche : « L’Agence est apparue à la mission (d’inspection, n.d.l.r.), dans le cas étudié, comme une structure lourde, lente, peu réactive, figée, malgré la bonne volonté et le travail acharné de la plupart de ses agents, dans une sorte de bureaucratie sanitaire ». En résumé : l’AFSSaPS, ainsi que l’ensemble du système de pharmacovigilance français souffrirait d’une « insuffisance de culture de santé publique ».

Une « anesthésie » des acteurs de la chaîne du médicament. Les laboratoires Servier qui ont commercialisé le Médiator®, sont eux aussi sévèrement épinglés. « Le déroulement des événements relatés dans ce rapport est très largement lié au comportement et à la stratégie des laboratoires Servier qui, pendant 35 ans, sont intervenus sans relâche auprès des acteurs de la chaîne du médicament pour pouvoir poursuivre la commercialisation du Médiator® et pour en obtenir la reconnaissance en qualité de médicament anti-diabétique », écrivent les inspecteurs de l’IGAS.

L’IGAS ajoute : « Pour reprendre une expression revenue à plusieurs reprises dans les témoignages recueillis par la mission, elle a ‘anesthésié’ ces acteurs de la chaîne du médicament et même, selon deux anciens présidents de commission d’AMM, elle les a ‘roulés dans la farine’ »

Des ministres de la Santé qui auraient failli… « Les ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé (ont géré) avec lenteur les déremboursements de médicaments à service médical rendu insuffisant, aboutissant dans le cas du Médiator ® à des résultats inverses de ceux recherchés ».

Le Médiator® aurait dû être retiré dès…1999

Au-delà de ces constats très durs, la mission de l’IGAS « tient d’ores et déjà à mettre l’accent sur quelques enseignements qui lui paraissent essentiels ». L’occasion également d’insister sur quelques motifs d’étonnement :

– « Dans cette affaire comme dans d’autres passées et malheureusement à venir, ce n’est pas l’excès de principe de précaution qui est en cause mais le manque de principe de précaution ; »

– Par ailleurs, « La chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie non aux patients et à la santé publique mais aux firmes. Il en va ainsi de l’autorisation de mise sur le marché qui est conçue comme une sorte de droit qu’aurait l’industrie pharmaceutique à commercialiser ses produits, quel que soit l’état du marché et quel que soit l’intérêt de santé publique des produits en question. »

La question des conflits d’intérêts… L’IGAS enfin, revient sur le poids des « liens d’intérêt des experts contribuant aux travaux de l’AFSSaPS ». Elle ajoute : « Il s’agit des liens d’intérêts financiers ou d’autres natures tels qu’ils devraient être signalés à l’Agence, ce qui n’est pas à l’heure actuelle systématiquement le cas, selon les déclarations mêmes de l’actuel président de la commission d’AMM ».

Aux yeux de la mission, la conception des liens d’intérêt « doit être élargie ». Eutrement dit, elle ne doit pas s’appliquer exclusivement aux professionnels de santé. Elle « pense souhaitable que tous les agents publics ayant à connaître des questions liées aux médicaments soient tenus de déclarer de tels liens. Il doit en être ainsi en particulier, pour les membres des cabinets ministériels de manière plus globale. L’AFSSaPS, qui est une agence de sécurité sanitaire, se trouve à l’heure actuelle structurellement et culturellement dans une situation de conflit d’intérêt. Pas en raison de son financement qui s’apparente à une taxe parafiscale, mais par une coopération institutionnelle avec l’industrie pharmaceutique qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des décisions qui en découlent ».

En conclusion, « la mission tient à souligner que le système de notification des cas par les professionnels de santé aurait pu permettre le retrait du MEDIATOR® dès 1999 si le principe de précaution s’était appliqué. A ce stade, la mission insiste sur le rôle essentiel des professionnels de santé et des patients qui doivent être davantage associés à ces démarches, pas seulement en ce qui concerne la déclaration des cas. »

Aller plus loin : téléchargez:

– le rapport de l’IGAS sur le Médiator®
– la réaction des laboratoires Servier (Communiqué de presse);
– la réaction du Collectif Interassociatif sur la Santé (CISS).

  • Source : Rapport de l’IGAS sur le Médiator®, 15 janvier 2011

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